Le CCD s'associe à une coalition sollicitant la qualité d'intervenant dans une cause

Le Conseil des Canadiens avec déficiences  (CCD) sollicitera la qualité d’intervenant auprès de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans une cause soulevant des questions d’importance nationale et portant sur les droits humains fondamentaux des personnes en situation de handicap.   À cette fin, le CCD s’associe à  l’Association Canadienne pour l’intégration communautaire (ACIC) et à  Personnes d’Abord du Canada (PAC) pour former «  la Coalition » dont l’intervention, si autorisée,  portera sur l’interprétation et l’application du critère légal de discrimination systémique. L’approche adoptée par la Commission d’enquête exacerbe les actuels obstacles affrontés par les personnes handicapées,  particulièrement vulnérables à la discrimination,  dans les secteurs des garanties des droits de la personne et de l’accès à la justice.

Contexte

Par cette intervention, la Coalition en appelle du jugement de la Commission d’enquête de la Nouvelle-Écosse  qui stipule (1) que la discrimination subie par les trois plaignants en matière de prestation de services  ou d'accès aux installations est  basée sur leur déficience physique et mentale et (2)qu’aucune discrimination systémique n’a été exercée.  

Les trois personnes à l’origine de  cette cause ont, pendant longtemps,  été retenues  contre leur gré et contre l’avis médical dans des institutions (y compris dans des hôpitaux).   Tout en reconnaissant que ce traitement était discriminatoire, la Commission d’enquête n’a pas été convaincue du bien-fondé de la plainte déposée par la Disability Rights Coalition (DRC).  La DRC a soutenu :  «  La Province (Nouvelle-Écosse) a exercé une distinction illicite, non seulement vis-à-vis des trois plaignants désignés  mais encore à l’égard de toutes les personnes handicapées de la Nouvelle-Écosse à qui l’on a refusé les services et mesures de soutien requis pour vivre dans la société. »

La DRC, basée à Halifax, a poursuivi: «  La Province a fondamentalement ignoré les besoins des centaines/milliers de personnes handicapées à faible revenu qui ont besoin de services et de mesures de soutien pour s’autonomiser au sein de la  communauté.  Ce faisant, elle a violé leurs droits humains les plus fondamentaux. »

La DRC a porté ce jugement en appel auprès de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse et le gouvernement provincial a interjeté un pourvoi incident.  

Appel du  jugement de la Commission d’enquête

Dans cet appel, la question en litige  porte sur l’interprétation appropriée du test légal de discrimination appliqué aux plaintes pour motif de discrimination systémique ou individuelle fondées sur les droits de la personne.  Selon la Commission, chaque plainte doit être évaluée sur une base individuelle,  même s’il est prouvé que le toute personne en attente de services, dans les institutions ou ailleurs, a déjà été évaluée par le gouvernement aux fins d’admissibilité et d’aptitude à l’autonomisation sociale.  Pourtant, en dépit de cette preuve, la Commission a décrété « qu’aucune règle générale » ne pouvait être appliquée pour prouver  que « l’échec gouvernemental  d’assurer un accès opportun aux services fondamentaux requis pour vivre dans la société, était source de discrimination systémique.”

Le Centre juridique d'intérêt public de Winnipeg, (CJIP) et la firme Thompson Dorfman Sweatman ont accepté de représenter gratuitement la Coalition à titre de conseillers juridiques.  Byron Williams et  Joëlle Pastora Sala du Centre juridique d'intérêt public ainsi que Sacha Paul, Sharyne Hamm et  Miranda Grayson de Thompson Dorfman Sweatman seront les avocats chargés de l’affaire.    Nous sommes heureux d’annoncer que si la qualité pour agir nous est accordée, le Comité des droits de la personne du CCD , présidé par Anne Levesque, coordonnera la participation du CCD à l’élaboration de la plaidoirie de la Coalition.

La Coalition s’attaquera à la conclusion de fait erronée de la Commission d’enquête,   selon laquelle la discrimination systémique n’existe pas;  elle  exposera l’approche que la Commission aurait dû adopter vis-à-vis de  cette question.  Et plus précisément, la Coalition soutiendra  devant la Cour que la Commission aurait dû appliquer une optique systémique pour analyser le fonctionnement des systèmes et déterminer si leur action ou inaction est source de discrimination.  L’interprétation erronée de la Commission d’enquête et l’application du critère de discrimination prima facie pourraient débouter les futures plaintes de discrimination systémique des membres d’une catégorie protégée.    

C’est une cause très importante pour la collectivité des personnes en situation de handicap car il n’est pas rare que des systèmes aient des conséquences négatives imprévues pour les personnes handicapées.

Cette cause de la DRC  donnera à la collectivité des personnes handicapées la possibilité d’insister pour  la mise en vigueur de l’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH),  axé sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société.  Cet article  prévoit: 

Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :

a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;

b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ;

c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins.

En 2015, le Canada a publié son premier rapport officiel sur l’application de la CDPH.  Comme c’est toujours le cas avec de tels rapports onusiens sur les droits de la personne, les organisations canadiennes de personnes handicapées ont publié un rapport parallèle, formulant deux recommandations pour  l’article 19, recommandations particulièrement importantes pour cette cause :  

• « Le Canada doit veiller à ce que les personnes handicapées ne soient pas institutionnalisées, que toutes les grandes institutions planifient leur fermeture et n’acceptent aucune nouvelle admission.  
• Le Canada doit collaborer avec les provinces et territoires pour garantir aux personnes handicapées les mesures de soutien requises pour  vivre en toute autonomie dans la communauté. »

Le Comité onusien des droits des personnes handicapées a tenu compte des préoccupations de la collectivité des personnes en situation de handicap vis-à-vis des obstacles auxquels sont confrontées les personnes handicapées pour obtenir l’aide requise à leur autonomisation sociale.  Dans ses « Conclusions finales » de 2017, il a soulevé les problèmes inhérents à l’institutionnalisation des personnes handicapées  ainsi que l’absence de mesures de soutien liées aux limitations fonctionnelles.  Et il a alors recommandé au Canada : «  de veiller à ce que les juridictions provinciales et territoriales élaborent des stratégies assorties de calendriers en vue de fermer les institutions et de les remplacer par un système d’aide complet, comprenant des services d’aide à domicile et d’aide à la personne, qui permette aux personnes handicapées de mener une vie autonome. »

Tout récemment, en avril 2019, les questions relatives à  l’institutionnalisation et à l’absence des mesures de soutien requises pour assurer l’autonomisation sociale des personnes en situation de handicap, ont attiré l’attention de Mme. Catalina Devandas-Aguilar, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées.  Au début d’avril, lors de son passage en Nouvelle-Écosse, elle a visité l’institution en question et a discuté avec les avocats chargés de l’appel.  Dans ses Observations préliminaires publiées  à la fin de sa visite au Canada, la Rapporteuse spéciale  sur les droits des personnes handicapées,  a fait les remarques suivantes sur les points traités dans cette affaire : 

« Je suis extrêmement préoccupée par l'absence de réponses globales pour garantir l'accès des personnes handicapées au soutien dont elles ont besoin pour vivre de façon autonome dans leur collectivité. Bien que la législation, les services et les programmes varient d'une province et d'un territoire à l'autre, l'accès au soutien n'est généralement pas considéré comme un droit, mais plutôt comme un programme d'aide sociale qui dépend de la disponibilité des services.

De plus, de nombreux services et programmes de soutien sont gérés par des organismes sans but lucratif, avec un financement et des orientations limitées de la part des gouvernements provinciaux et territoriaux. Par conséquent, les personnes handicapées ont un accès limité à différentes formes de soutien (y compris le soutien au revenu, le soutien à domicile et les centres de répit), ce qui entraîne de longues périodes d'attente pouvant atteindre plusieurs années. Bien que certains projets pilotes aient démontré leur potentiel de transformation de la prestation de services (par exemple les initiatives visant à fournir un financement direct personnalisé), l'identification, la systématisation et l'expansion globales de ces initiatives demeurent un défi. »

Le CCD publiera d’autres blogues sur cet appel au fur et à mesure de son  évolution. 

Dans ses « Conclusions finales » 2017 concernant les progrès du Canada en matière d’inclusion communautaire, le Comité onusien des droits des personnes handicapées a déclaré :

Autonomie de vie et inclusion dans la société (art. 19)

1. Le Comité salue les mesures prises par différentes provinces de l’État partie en vue d’abandonner le placement en institution, et se félicite en particulier que l’Ontario ait fermé en 2009 sa dernière institution pour personnes souffrant de déficiences intellectuelles. Toutefois, il constate avec préoccupation que des personnes handicapées sont toujours placées dans des institutions dans de nombreuses provinces, comme l’Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, dans l’Île-du-Prince-Édouard et au Québec, et dans les territoires. Il est également préoccupé par le manque de services et d’aide appropriés mis à la disposition des personnes handicapées appartenant aux plus de 600 communautés des Premières Nations que compte l’État partie.

2. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter des directives nationales au sujet de la reconnaissance du droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société comme un droit subjectif et opposable des personnes handicapées et de fournir en permanence aux juridictions provinciales et territoriales des orientations en vue de cette reconnaissance, en réaffirmant le principe du respect de l’autonomie des personnes handicapées et de leur liberté de choisir où et avec qui vivre ;

b) D’adopter une approche du handicap fondée sur les droits de l’homme dans tous les plans et politiques de logement à tous les niveaux. À cette fin, l’État partie devrait augmenter le nombre de logements financièrement abordables et accessibles aux personnes présentant un handicap psychosocial et intellectuel, ainsi que les services d’aide mis à leur disposition ;

c) De veiller à ce que les juridictions provinciales et territoriales élaborent des stratégies assorties de calendriers en vue de fermer les institutions et de les remplacer par un système d’aide complet, comprenant des services d’aide à domicile et d’aide à la personne, qui permette aux personnes handicapées de mener une vie autonome ;

d) De veiller à ce que la législation et les plans et programmes relatifs à l’accessibilité garantissent l’accessibilité des services et des installations, afin de faciliter l’inclusion des personnes handicapées dans la collectivité et de prévenir leur isolement et le placement en institution ;

e) De veiller à ce que des services appropriés soient fournis, au sein des communautés des Premières Nations (dans les réserves), aux personnes présentant un handicap psychosocial et/ou intellectuel.