Avec les avantages économiques annoncés de l'aide médicale à mourir la notion « des vies ne valant pas la peine d'être vécues »

Heidi Janz, Ph.D
Professeure auxiliaire, John Dossetor Health Ethics Centre, Université de l’Alberta

Pendant des décennies, les défenseurs des droits des personnes en situation de handicap nous ont avertis  que la légalisation de l’aide médicale à mourir renforcerait la dévalorisation sociale des personnes handicapées en  ancrant davantage une croyance déjà bien courante   fondée sur la capacité physique : la vie des personnes ayant des limitations fonctionnelles ne vaut pas la peine d’être vécue. Dans le même ordre d’idée, ces défenseurs ont prédit qu’une fois accepté dans la société canadienne, le suicide assisté serait vite perçu comme une alternative viable aux traitements médicaux onéreux et, en fin de compte, inutiles.  Un rapport largement diffusé, paru la semaine dernière dans le Canadian Medical Journal,  ressemble à une  concrétisation « orwellienne »  de ces sinistres prédictions. 

Selon ce rapport, l’aide médicale à mourir pourrait réduire de 34,7 millions à 136,8 millions de dollars les dépenses canadiennes annuelles en soins de santé .  De telles économies excèdent de loin les 1,5 millions à 14,8 millions de coûts directs prévus pour la mise en vigueur de l’aide médicale à mourir.  Les auteurs de ce rapport soulignent toutefois et explicitement que la réduction de coûts ainsi prouvée ne devrait pas peser dans la prise de décision du médecin ou des patients sur les  possibilités de traitement en fin de vie.  En lisant cette directive, je n’ai pu m’empêcher de la considérer comme une tentative obligatoire, (entre parenthèses),   des auteurs de fermer la boîte de pandore qu’ils venaient d’ouvrir ou tout au moins, de s’absoudre eux-mêmes de toute responsabilité vis-à-vis des dilemmes éthiques et moraux que pose  cette glorification  de l’AMàM comme judicieuse  solution pour les personnes en phase terminale.  Étant donné qu’à l’heure actuelle, la demande des Canadiens en ressources médicales excède  régulièrement les disponibilités, engendrant de longues listes d’attente et, parfois, par une rationalisation des services,  l’attitude des auteurs de cette étude qui, d’une part claironnent  les avantages économiques de l’AMàM et, d’autre part, avertissent  les médecins et les patients d’exclure ces facteurs économiques de leur prise de décision relative aux soins de fin de vie, est tout au plus naïve et out au moins irresponsable, voire cynique. 

Certes, vivre avec de graves et multiples limitations fonctionnelles coûte cher.  C’est une réalité que connaissent des milliers de Canadiennes et de Canadiens en situation de handicap. Même les personnes bénéficiant d’une couverture médicale « totale » au titre des programmes de soutien du revenu pour les personnes handicapées, sont obligés chaque année de consacrer  des milliers de dollars à des dépenses du ressort médical.  De plus, de nombreux sont les  Canadiens qui,  ne bénéficiant pas d’un niveau suffisant de soins à domicile pour leur permettre de vivre en toute autonomie au sein de la communauté,  se retrouvent donc enfermés dans des centres de soins de longue durée.  Il est donc peu probable que dans de telles circonstances, une personne handicapée en fin de vie, ou son médecin, suive les mises en garde des auteurs du rapport et supprime, dans leur prise de décision, les soi-disant avantages économiques de l’AMàM.    Il est au contraire fort probable que  l’abandon de  ce fardeau financier d’une part et, d’autre part,  l’utilisation efficace des ressources limitées en soins de santé feront pencher la balance en faveur de l’aide médicale à mourir, comme « solution » à  ces dilemmes.

Par conséquent, à l’aube du premier anniversaire de la décision de la Cour suprême du Canada légalisant le suicide médicalement assisté, il devient de plus en plus évident que la pente glissante que nous prédisent les défenseurs des droits des personnes handicapées, existe en fait.  La vie des personnes en situation de handicap est de plus en plus considérée comme « ne valant pas la peine d’être vécue » en termes économiques et psychosociaux.  Et nous, en tant que pays, sommes bien en train de glisser !