Numéro spécial : Donner la voix aux droits des enfants

Par Keiko Shikako-Thomas, PHD, R.T., Chaire de recherche du Canada en invalidité infantile: Participation et application des connaissances, Université McGill et Meaghan Shevell,  Maîtrise en droits de la personne, Lab. De participation et application des connaissances, Université McGill.

« Il n’y a pas de pacte plus sacré que celui que le monde a avec ses enfants.  Il n’y a pas de devoir plus important que celui de s’assurer que leurs droits soient respectés, que leur bien-être est garanti, qu’ils vivront à l’abri de la peur et du besoin et qu’ils pourront s’épanouir en paix. »  (Kofi Annan).

Tout être humain a été enfant avant d’être adulte.  Mais est-ce que les enfants ont la parole pour ce qui leur importe ?  Est-ce que les enfants en situation de handicap et leurs familles savent qu’ils ont des droits ?  Est-ce que le Canada respecte ces droits ?

Les enfants ont leur propre traité sur les droits de la personne « La Convention relative aux droits de  l’enfant (CDE) ».  Une section de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) leur est consacrée.  Et c’est justifié !  Pourquoi ?  Parce que les questions touchant les enfants ont un caractère intersectionnel.   Elles traversent les frontières de la santé, de l’éducation, de l’aide sociale et de l’emploi (pour leurs parents qui leur fourniront  les soutiens nécessaires à  leur épanouissement et pour eux, lors de  transition de l’école au marché du travail).  Les enfants représentent un important pourcentage des groupes traditionnellement et systématiquement marginalisés et victimes de discrimination, comme les autochtones, les femmes, les personnes en situation de handicap, les immigrants, les réfugiés, les réfugiés, les minorités raciales et ethniques.  Pourtant, malgré ce haut pourcentage, les enfants passent entre les mailles du filet en ce qui a trait aux services et aux prestations offerts à ces groupes, trop souvent conçus par des adultes pensant aux « besoins » des adultes.

Les enfants handicapés font face aux mêmes défis que les adultes en ce qui a trait à l’inclusion, l’intégration, la participation, l’accès aux droits de la personne. Mais d’autres obstacles s’ajoutent aussi, car ils n’ont pas souvent droit au chapitre pour ce qui les concerne.  Les enfants en situation de handicap ne sont en général pas consultés dans les prises de décision les affectant, ni dans la précision de leur meilleur intérêt.  En fait, ils sont rarement représentés dans les interventions, les politiques ou la prestation de services.

À travers les provinces, les familles d’enfants handicapés subissent  d’intenses disparités quant aux types de services qui leur seront fournis pour leur santé – quelles thérapies sont disponibles dès la prime enfance pour garantir le meilleur départ possible dans la vie et plus tard, au cours de la transition des soins pédiatriques vers les soins d’adultes ;  pour leur éducation – quels seront les cadres éducatifs  disponibles (les soutiens disponibles dans les écoles intégrées et isolées) pour faciliter leur apprentissage et dans la communauté – quelles seront les possibilités qui leur seront offertes pour jouer, pour participer à des activités physiques, pour participer à leur collectivité et pour renforcer leurs compétences sociales et civiques. 1. 2. .  Cette discrimination intersectionnelle est de plus aggravée par les divergences régionales :  à travers les provinces et les territoires, sur et hors des réserves, dans les régions rurales et les régions urbaines  3. .

Depuis 2006, le Canada n’a pas recueilli de données sur les enfants en situation de handicap.   L’Étude canadienne sur l’incapacité est le seul outil de collecte de données actuellement disponible.  Mais les enfants en sont exclus, de la naissance jusqu’à l’âge de 14 ans.  Sans ces données, on ne peut efficacement concevoir des programmes ciblant spécifiquement les enfants handicapées et visant à améliorer  leur situation.

Les gouvernements et les sociétés doivent aussi régler les problèmes qu’affrontent les aidants naturels.  Il est de plus en plus évident 4.   que le fardeau des soins tombe inexorablement sur les membres de la famille (particulièrement les femmes) et non sur  l’État, ce qui peut provoquer un éventuel handicap.  En appui à l’article 6, des mesures de soutien appropriées doivent être dispensées aux aidants naturels afin de minimiser les effets mentaux et physiques.  Étant donné les coûts de substitution ( à savoir la réduction d’heures de travail rémunéré) et  l’expérience des aidants naturels, les  budgets devraient inclure les soins de relève, les congés intermittents pour amener les enfants à leurs rendez-vous, les allègements fiscaux et un revenu pour les aidants.

En se basant sur les recherches existantes et en écoutant les observations des enfants et des familles, le Canada devrait prendre des mesures pour donner la parole aux enfants handicapés et leur permettre de jouir de leurs droits de la personne sur un pied d’égalité, notamment :

  • Recueillir des données concernant les enfants handicapés et leurs familles afin que les politiques, les programmes et les services soient basés sur des décisions factuelles en vue de  combler les besoins de ce secteur de la population et des familles.
  • Mettre sur pied des services axés sur la famille et des services axés sur les enfants afin d’aider les familles à accéder aux ressources et leur permettre de déterminer  en toute autonomie les types de dépenses les plus adaptées à leurs enfants.
  • Accroître sa capacité de consolider les services aux enfants handicapés dans les réserves et dans les communautés rurales.
  • Mettre sur pied des mécanismes favorisant la présentation de réussites et de  modèles positifs à travers les provinces et ce, afin d’atténuer les disparités dans la prestation de services, y compris dans la transition  vers les services aux adultes.
  • Inclure les besoins des enfants handicapés dans les loisirs, les sports, les parcs, les activités récréatives, et le développement communautaire axé sur la participation aux loisirs.
  • Répertorier les différences dans  les opportunités éducatives à travers les provinces et établir une référence pour l’égalité linguistique et pour l’acquisition des langues des signes et ce, en cherchant à mettre fin à la dépossession linguistique.
  • Encourager des initiatives d’auto-interventions pour aider les enfants et les jeunes en situation de handicap à s’informer sur leurs droits de l’homme, à avoir accès aux modèles  et à apprendre les compétences requises pour une totale  participation et la pleine citoyenneté.

1. Shikako-Thomas K, Shevell M, Lach L, Law M, Schmitz N, Poulin C, Majnemer A and the QUALA group. Are you doing what you want do? Leisure preferences of adolescents with cerebral palsy, Developmental Neurorehabilitation, 18: 234-240, (2015).
2. Dahan-Oliel, N., Shikako-Thomas, K., & Majnemer, A. (2012). Quality of life and leisure participation in children with neurodevelopmental disabilities: A thematic analysis of the literature. Quality of Life Research, 21(3), 427-439. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/41445069
3.The Jordan’s Principle Working Group (2015) Without denial, delay, or disruption:
Ensuring First Nations children’s access to equitable services through Jordan’s Principle. Ottawa, ON: Assembly of First Nations.
4. Ibid. (Raina, P., et al. (2004). Caregiving process and caregiver burden: conceptual models to guide research and practice. BMC pediatrics, 4(1).

 


Q\R avec Frank Folino, membre du Comité du Rapport parallèle pour la CDPH

L’Association des Sourds du Canada – Canadian Association of the Deaf (CAD-ASC)  a pour mission  de protéger et promouvoir les droits, les besoins et les intérêts des personnes Sourdes utilisant la langue des signes québécoise (LSQ) et l’American Sign Language (ASL).  Fondée en 1940, la CAD-ASC est la plus ancienne organisation fournissant au public, entreprises, médias, éducateurs, gouvernements et autres parties, des informations et des consultations sur les enjeux des  Sourds.  Elle entreprend des recherches et recueille des données sur les Canadiens Sourds.

La CAD-ASC est affiliée avec l’organisation internationale la Fédération mondiale des Sourds (FMS), une organisation internationale non gouvernementale et à but non lucratif regroupant les associations de 133 pays.  La FMS a, affirme-t-elle,  un statut consultatif auprès des Nations Unies et est membre  de l’International Disability Alliance. La FMS promeut les droits des personnes Sourdes conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), du Programme de développement durable à L’horizon de 2030 (PDD) et d’autres instruments internationaux de droits de la personne.  Le siège juridique et le secrétariat de la FMS sont situés à Helsinki, Finlande.

Frank Folino préside l’Association des Sourds du Canada –  Canadian Association of the Deaf (CAD-ASC) depuis 2013.  Sous son leadership, l’Association a maximisé la visibilité de l’implication du président dans la promotion et la défense des intérêts des Canadiennes et Canadiens Sourds en matière de droits de la personne.  Il siège actuellement à de nombreux groupes consultatifs œuvrant pour une sensibilisation accrue des droits des personnes Sourdes aux langues des signes et à l’accessibilité, notamment le Conseil des Canadiens avec déficiences, l’Association of Visual Language Interpreters of Canada.  Il représente le Canada sur la scène internationale, travaillant avec les Nations Unies, le North America’s Advisory Committee  de la World Association of Sign Language Interpreters, la Fédération mondiale des Sourds et bien d’autres.

La CAD-ASC utilise des mots-clics (hashtags)  pour encourager le dialogue avec la collectivité des Sourds au Canada : #ASLandLSQCanada #LSQetASLCanada #CRPD2017 et #CDPH2017.

Frank rencontrera le Comité des droits des personnes handicapées afin de sensibiliser davantage les membres aux enjeux qu’il élabore dans cet article Q/R.

1. La CAD-ASC a dirigé a dirigé la section du Rapport parallèle portant sur les droits des personnes.

Sourdes aux langues des signes.   À cette fin, nous avons soumis des données sur les enjeux des Canadiennes et des Canadiens Sourds.  Nous avons raconté nos expériences vécues avec nos langues des signes nationales en tant que personnes Sourdes à l’identité culturelle et linguistique spécifique, nous avons dénoncé les obstacles de langue et de communication auxquels nous nous heurtons dans les services de santé, les services d’interprétation, dans l’éducation, l’emploi, la télédiffusion et les télécommunications, l’accès à l’information, la participation politique, le système judiciaire, la culture, les sports, etc…

La Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées(CDPH) fixe aussi un cadre pour les droits des Sourds, comblant un important vide dans les lois internationales sur les droits de la personne.  Ainsi, les articles suivants de la Convention portent directement sur les langues par signes :

  • Article 2 – Définition
  • Article 9 – Accessibilité
  • Article 21 – Liberté d’expression et d’opinion et accès à L’information
  • Article 24 – Éducation
  • Article 30 – Participation à la vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports

Au moins quarante (40) pays à travers le monde ont accordé une protection juridique reconnaissant les langues des signes comme langues officielles.  Nous voulons que le gouvernement du Canada accorde une reconnaissance juridique à nos langues des signes nationales, par le biais d’une loi accessible, équitable et durable pour les personnes Sourdes du pays qui se traduira par de nets avantages pour un meilleurs accès à l’information et aux services.

2. Dans quelle mesure votre travail à Genève peut-il contribuer à l’application de la CDPH au Canada ?

La CAD-ASC est ravie d’être à Genève car nous sommes la seule organisation nationale à but non lucratif se concentrant sur les questions de droits fondamentaux des personnes sourdes en ce qui a trait aux langues de signes nationales et à l’accessibilité. Nous serons en mesure de prouver que le Canada n’a pas reconnu nos langues des signes nationales. Et les reconnaître, c’est garantir les droits fondamentaux des Canadiens Sourds.

Nous nous prévalons de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées parce qu’elle prescrit le droit à la reconnaissance des langues des signes à l’article 21.  Reconnaître officiellement nos langues des signes est une importante avancée vers l’inclusion sociale des personnes Sourdes et leur jouissance des droits de la personne.

3. Quelle serait la plus importante observation finale que le Comité pourrait offrir à votre organisation particulière ?

Nous voulons que le gouvernement du Canada reconnaissance nos langues des signes nationales ; ce faisant, il inscrit officiellement la reconnaissance, la promotion et la protection des droits des personnes Sourdes à leurs langues : l’American Sign Language (ASL) et la langue des signes québécoise (LSQ).   Une telle reconnaissance met en valeur l’identité linguistique de la collectivité des Sourds pendant son inclusion dans les sociétés anglophones et francophones.

Nous espérons également une observation sur l’éducation bilingue, facteur crucial de l’identité culturelle et linguistique qui permet aux enfants Sourds d’acquérir la pleine citoyenneté et d’accéder à l’éducation et à l’emploi.  Par ricochet, la compétence langagière en ASL et en LSQ dès le tout jeune âge facilitera le développement social et cognitif et conduira à de hauts niveaux de littéracie en anglais et en français.  Les enfants Sourds ont droit aux possibilités de réussites, académiques, sociales et émotionnelles que l’acquisition du langage peut leur apporter.

Les droits fondamentaux des personnes Sourdes à la pleine citoyenneté impliqueront la qualité des services et la promotion de l’accessibilité pour les Sourds.  Ils leur permettront ainsi d’avoir  accès aux services de santé, à l’éducation, aux services d’interprétation en langue des signes, à l’emploi, à l’information, à la télédiffusion et aux télécommunications, à la participation politique, au système judiciaire, à la culture, aux sports, etc.  L’interprétation en langues des signes est indispensable pour la collectivité canadienne des Sourds, notamment dans ses efforts de création et consolidation de ponts avec la collectivité des personnes entendantes. Nous espérons que le gouvernement canadien  influera sur les politiques avec une approche d’inclusion et écoutera les spécialistes Sourds dans leurs interventions et leurs services pendant l’élaboration de politiques.

4. Qu’attendez-vous le plus de la poursuite de vos travaux avec le Comité ?

Nous poursuivrons nos travaux visant à promouvoir, protéger et garantir aux personnes Sourdes la pleine et égale jouissance de tous les droits de la personne  et de toutes les libertés fondamentales, grâce à protection juridique et à l’égalité des chances prescrites dans  la reconnaissance de nos langues des signes nationales.  Cela constituera un tournant décisif dans l’avancement des droits fondamentaux des personnes Sourdes qui pourront alors accéder à la pleine citoyenneté dans la société civile.

5. Comment appliquerez-vous les observations finales à vos futurs travaux ?

Nous continuerons à promouvoir les droits de l’homme pour les Sourds  par des interventions soutenues en faveur de la CDPH et du Programme de développement durable à L’horizon de 2030 dans leur application canadienne pour les Canadiens sourds, par  le biais des Conventions onusiennes à savoir : a) le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, b) la Convention internationale sur toutes les formes de discrimination raciale, c) le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, d) la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et e) la Convention relative aux droits de l’enfant.