Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 R.C.S 57

Faits

La famille Hilewitz

David Hilewitz, d’Afrique du sud, a présenté une demande de résidence permanente au Canada, dans la catégorie « investisseurs ». Son fils, Gavin, est atteint d’une déficience intellectuelle. Gavin a été examiné par un médecin agréé et, à cause de sa déficience, a été déclaré inadmissible en vertu du sous-alinéa 19(1)(a)(ii) de la Loi sur l’immigration. Il semblerait que Gavin exigerait une vaste gamme de services sociaux et d’éducation spéciale.

M. Hilewitz a contesté cette évaluation, soutenant que Gavin n’a jamais bénéficié de services scolaires publics en Afrique du sud; la famille avait en fait créé une classe spéciale pour leur fils et pour d’autres enfants ayant des déficiences analogues. M. Hilewitz a également affirmé qu’il entendait acheter une entreprise afin de garantir un emploi à Gavin. Il a ajouté qu’il assurerait tout le soutien nécessaire à Gavin et qu’il était financièrement en mesure de le faire.

La famille De Jong

En 1996, Dirk De Jong, citoyen hollandais, a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie « travailleurs autonomes ». L’une de ses filles est née avec une déficience intellectuelle. M. de Jong avait repéré une ferme en Ontario qu’il s’apprêtait à acheter et avait pris des mesures pour envoyer sa fille dans une école privée.

Après l’appréciation, le médecin agréé a conclu que la fille de M. De Jong était atteinte d’un retard du développement et était donc inadmissible en vertu du sous-alinéa19(1)(a)(ii) de la Loi sur l’immigration. M. De Jong a soumis des informations supplémentaires stipulant que ses enfants avaient été acceptés dans une école privée et ne se prévaudraient donc pas des services d’éducation spéciale, financés par les deniers publics. Mais l’agent des visas n’a pas tenu compte de ces données.

Analyse et décision


À la majorité, la Cour suprême du Canada a conclu que les avaient soumis la catégorie des « investisseurs » et celle des « travailleurs autonomes » — en vertu desquelles familles Hilewitz et De Jong avaient soumis leurs demandes au Canada — reposent, dans une large mesure, sur les avoirs d’une personne. Le sous alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison et indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services. Étant donné que, si l’on ne considère pas la capacité et la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consistera le « fardeau », les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux. Cela exige des appréciations individualisées.

Le critère législatif est clair et correspond à une probabilité raisonnable, non à une faible possibilité. Il doit être probable, eu égard à la situation financière de la famille, que les services sociaux seront sollicités. La même analyse vaut pour la nouvelle Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

La capacité et la volonté de M. Hilewitz et de M. De Jong d’assumer financièrement ces services et de limiter leur dépendance sur les services sociaux canadiens, étant donné leurs ressources financières, étaient des éléments pertinents pour évaluer l’ampleur du fardeau que leur admission entraînerait. La Cour a donc estimé que les agents des visas ont commis une erreur en confirmant simplement les conclusions des médecins agréés et n’ont pas tenu compte de la volonté des familles d’apporter leur soutien. En outre, les décisions des agents de visa n’étaient pas fondées sur la totalité de l’information pertinente disponible, vu leur refus de lire les réponses des familles aux lettres requises par l’équité que les familles avaient reçues.

Dissidence

Les juges LeBel et Deschamps, dissidents, ont conclu que la capacité de payer d’un demandeur n’est pas un facteur qui peut être pris en considération par les médecins agréés pour l’application du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l’immigration. Le législateur n’a pas voulu charger les médecins agréés de tenir compte du soutien familial ou de la capacité de payer. Le fait que le législateur se soit expressément demandé si le soutien familial était pertinent pour la détermination du fardeau excessif, et ait décidé de ne pas inclure ce facteur dans la Loi sur l’immigration ou les règlements donne fortement à penser qu’il ne voulait pas que la capacité de payer soit considérée comme un facteur pertinent.

Le travail des médecins agrées serait nettement plus compliqué si l’on devait ajouter à leurs tâches une enquête subjective visant à déterminer si la famille ou la communauté du candidat serait en mesure de fournir ce soutien supplémentaire. Une telle analyse subjective, hors du domaine d’expertise du médecin, risquerait d’aboutir à des conclusions différentes à l’égard de demandeurs dont la situation est similaire et entraînerait de plus grands délais.

Enfin, ont déclaré les juges dissidents, sans la possibilité de faire respecter par le recours aux tribunaux la promesse de payer les services sociaux, il n’y a aucun moyen de s’assurer que la famille cherchera effectivement à atténuer tout fardeau excessif pour les finances publiques. Plus l’analyse est liée à des facteurs non médicaux très subjectifs, plus il est probable que les médecins agréés seront amenés à faire des évaluations hors de leur domaine d’expertise. On risque alors d’aboutir à des conclusions différentes à l’égard de demandeurs dont la situation est similaire, ce qui contrecarrerait les efforts faits pour que tous les demandeurs soient traités également, et demanderait davantage de temps.

Les candidats demandeurs peuvent néanmoins être admis en raison de leur capacité de payer, malgré la non admissibilité d’un membre de leur famille, mais cette décision relève alors du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre, qui peut délivrer un permis malgré la non admissibilité pour raisons médicales. Le ministre est mieux placé pour déterminer si les circonstances particulières d’un cas justifient une dérogation aux règles. Cette façon de faire permet également de faire en sorte que, vu le fardeau potentiel qu’ils pourraient entraîner pour les services sociaux et de santé canadiens, ces cas exceptionnels soient tranchés par une seule instance.