Le legs de l'honorable Jim Flaherty aux Canadiennes et Canadiens handicapés

Par Michael Bach et Laurie Beachell

(Cet article a d’abord été publié dans l’Ottawa Citizen du 14 avril 2014.)

La question de  handicap  était d’abord et avant tout une question personnelle pour Jim Flaherty.  Dans un article pour le bulletin de l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, il avait écrit au sujet de son fils, atteint de déficience intellectuelle :

«  Être le père de John a changé ma perception quant aux  priorités de la vie.  Les mois que nous avons vécus lorsqu’il a été si malade au cours de sa deuxième année et qu’il a failli mourir à l’hôpital,  ont été les plus désespérés.  Et ils se rappellent à moi  quand je fais face à une crise ou autre événement grave…rien n’est comparable au désespoir que nous avons connu.   John nous a permis de mieux comprendre  ce qui compte vraiment. »

La  déficience nous met en perspective, nous les quatorze pour cent de Canadiennes et de Canadiens en situation de handicap; elle façonne la vie des  membres de la famille, des collègues, aidants naturels ou intervenants. Elle nous englobe pratiquement tous si nous sommes conscients de sa présence croissante.

Mais la compréhension de Jim Flaherty n’est pas seulement fondée sur son expérience personnelle. Il fut l’un des deux ou trois  ministres seniors en fonction pendant plus de trois décennies à appliquer une politique portes-ouvertes vis-à-vis de la collectivité des personnes handicapées. Il voulait connaître nos préoccupations et nos idées stratégiques sur les grands enjeux des Canadiennes et Canadiens handicapés, à savoir l’accessibilité, la pauvreté, le manque de services indispensables, le chômage.  Nous n’avons pas toujours été d’accord mais nous avons toujours trouvé de nouvelles pistes pour améliorer la situation des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Le Régime enregistré d’épargne-invalidité,  qu’il a mis sur pied pour assurer la sécurité financière des personnes ayant de graves déficiences, est l’un des exemples les plus probants.  Ce mécanisme d’épargne privée, rehaussé de subventions et obligations fédérales et inspiré du Planned Lifetime Advocacy Network est issu des réclamations des parents qui ont directement valorisé auprès du ministre l’importance de garantir  la sécurité financière de leur enfant après leur mort. C’est l’une des réalisations dont M. Flaherty était le plus fier et il en parlait souvent, avec une profonde émotion.  Il avait compris les craintes des parents. 

Jim Flaherty a également dirigé la création du Fond fédéral pour l’accessibilité destiné à améliorer l’accès aux lieux de travail et aux services communautaires. Ce fond de 15 millions de dollars par an a subventionné plus de mille (1 000) projets à travers le pays.  Le ministre avait aussi priorisé la participation des personnes handicapées au marché du travail. Les cinq cents millions par an des ententes relatives au marché du travail, conclues en 2007 avec les provinces,  ont eu d’énormes répercussions sur le financement des services de formation  et de soutien communautaires.

La dimension handicap du leadership politique de Jim Flaherty s’est également cristallisée dans la politique fiscale.  À la prestation fiscale pour le revenu travail, destinée aux travailleurs à faible revenu, il a ajouté une clause reconnaissant les dépenses supplémentaires liées aux limitations fonctionnelles.  Dans son dernier budget, il a investi dans d’autres initiatives comme le programme  national Prêts, Désireux et Capables,  visant à encourager les employeurs à recruter et embaucher des personnes handicapées ou Community Works pour la formation professionnelle des personnes  atteintes de troubles du spectre autistique.

Que laisse Jim Flaherty aux  personnes handicapées sur la scène fédérale?  Tout d’abord, l’intense impact politique de la  création du Régime enregistré d’épargne-invalidité, architecture sur laquelle va reposer  la sécurité du revenu pour des générations à venir.  Est-ce que cela va résoudre la question de la pauvreté des Canadiennes et des Canadiens en situation de handicap?  Est-ce que le supplément à la prestation fiscale pour le revenu travail  le fera?  Définitivement non!  Jim Flaherty aurait été le premier à l’admettre.  Mais, comme il nous l’a dit, il voulait que le gouvernement fédéral s’implique davantage à cet effet.

Deuxièmement, il est vrai que les initiatives ciblant les personnes handicapées comme le Fond d’accessibilité ou les programmes Prêts, Désireux et Capables et Community Works ne suffisent pas pour régler les problèmes soulevés par les personnes en situation de handicap.  L’accessibilité ne peut nettement progresser  sans  investissements et  sans l’imposition des principes d’accessibilité universelle  dans tous les secteurs, depuis les programmes fédéraux d’infrastructure jusqu’à l’application du Code national du bâtiment en passant par les transports réglementés par le fédéral et l’achat de nouvelles technologies accessibles.   Les nouvelles mesures d’emploi ne règleront pas complètement les besoins des soixante-dix (70) pour cent de personnes ayant  des troubles de développement, actuellement au chômage.  Toutefois, comme les autres mesures qu’il a instaurées, ces initiatives transmettent  une orientation politique et  un engagement fédéral. Elles sont sources d’innovations qui, à l’avenir, pourront être proportionnellement accrues et améliorées.

Mais le plus important, c’est que Jim Flaherty a cimenté la politique du gouvernement et son rôle en matière de dépenses dans des secteurs cruciaux comme la sécurité du revenu, la participation à la force active et l’accessibilité des Canadiens en situation de handicap.  Et comme les débats politiques l’ont prouvé au fil des ans, il n’était pas certain que le  gouvernement devienne plus proactif. Pourtant, le leadership du ministre Flaherty en matière de politique, de programmes et de finances a indiscutablement pavé la voie au gouvernement pour de futures améliorations et, nous l’espérons une plus forte impulsion. Il y a quelques années, nous avons soumis au ministre le Plan national d’action de la collectivité des personnes handicapées pour bâtir un Canada plus accessible et plus inclusif.  Toujours prêt à annoncer fièrement les réalisations de son gouvernement, il a alors reconnu qu’avec  notre plan, le travail était loin d’être fini.

Dans l’environnement qu’il a créé, Jim Flaherty est devenu l’un des porte-étendards fédéraux des Canadiens avec des déficiences.  Il a su faire une énorme différence et nous le regretterons profondément.  Nous espérons que ceux et celles qui louent si chaleureusement ses services à la nation sauront trouver les moyens de terminer le travail entamé. 

Michael Bach est  Vice-président exécutif de l’Association canadienne pour l’intégration communautaire;  Laurie Beachell est Coordonnateur national du Conseil des Canadiens avec déficiences.